Souvenirs d’enfance villeneuvois

Jean Kluger

Je suis Jean Kluger aujourd’hui âgé de 82 ans de nationalité belge mais habitant depuis 55 ans à Marnes la Coquette (92430). Ma première école fut de 1943 à1945 à Villeneuve de Berg. Je revins à Bruxelles avec l’accent du pays.

Mon activité principale : dirigeant des Editions Bleu Blanc Rouge à Paris et les Editions Jean Kluger à Bruxelles.

Je suis marié (sans enfants) depuis 1965 avec Huguette Ferly qui fut la directrice artistique de notamment Michel Polnaref.

D’éditeur de musique je devins aussi producteur de disques et compositeur de chansons. Pour mémoire citons toutes celles de la Compagnie Créole (Bon pour le moral)d’Ottawan (Haut les mains) des Gibsons Brothers (Cuba) ainsi que de nom- breuses pour Sheila, Claude Francois, Dalida, Les Parisiennes etc….

Aujourd’hui mon activité principale est l’écriture de livres et pièces de théâtre.

Pendant 50 ans j’ai collaboré avec Daniel Bangalter (Vangarde, père des Daft Punk) dont les parents possédaient une maison à Antraigues sur Volane pas loin de Villeneuve….hasard de la vie!

A quelques kilomètres d’Antraigues se trouve Villeneuve de Berg, grand comme un mouchoir de poche, mais où nous les Kluger sommes arrivés fin 1942, en droite ligne de Lyon, avec l’espoir de pouvoir nous y cacher. Mon oncle Henry Steger y séjournait déjà.

Il devait faire très froid et l’appartement que nous occupions, situé entre l’hôpital et la mairie (aujourd’hui cabinet para-médical) ressemblait davantage à une cave qu’à un appartement de province. Mais nous y avions une cheminée que nous alimentions avec du bois et aussi du petit bois que j’allais chercher dans la forêt.

Le village nous accueillit et jamais ne nous dénonça, des Justes ! Nos voisins dont le fils tient un magasin derrière la voûte de la maison furent particulièrement bienveillants.

Mon frère Roland y naquit quelques mois plus tard, en avril sous le signe du bélier comme moi. Les sœurs offrirent une robe à ma mère qui n’en possédait qu’une. L’hôpital où il naquit est devenu une maison médicale.

J’entrai à l’école communale, j’avais cinq ans, ne parlais que le flamand, pas un mot de français et j’appris directement cette langue avec l’accent du Midi.

Je disais : le paing, le ving et les copaings…
Je me souviens d’une énorme bâtisse blanche où au début de l’été

toute la région venait passer son Certificat d’études primaires ce qui 77

mettait le village en effervescence ! Quand, des années plus tard je revis mon école, elle me sembla toute, toute petite.

Que reste‐t‐il de cette période ? Des flashes…

Je revois mon père secouant une bouteille de lait pour en faire du beurre, certainement en fredonnant un air de jazz. Je vois devant la fenêtre de ma chambre un soldat allemand fusillé par des jeunes de son âge portant le brassard des FFL1 ou FFI2. Quelques jours plus tard, un avion portant croix gammée survolant le village et envoyant une bombe, dont je n’ai jamais oublié la descente interminable, comme dans une séquence de film au ralenti mais ratant son objectif : nous !

Je me vois en gardien de but recevant un ballon de foot en pleine figure, shoot qui me laissa K.O, puis mon oncle Johnny venant me chercher. Lui qui déjà m’avait accepté dans sa chambre car j’avais grand peur dans le noir de la nuit ardéchoise. Dans le village il était devenu maçon et échangeait de la correspondance avec sa chère Maria d’Anvers. Mon père en faisait de même avec son associé Faecq resté à Bruxelles, les deux ne réalisant pas le danger d’être découverts.

Je nous revois dans une grange, découvrant mon tout premier film avec Rellys comme aviateur. Aussi, un certain dimanche à la sortie de la messe où m’attendait ma mère, me prenant dans un coin, elle m’administra une gifle retentissante. Comment aurais-je pu comprendre que devant me faire passer pour catholique elle n’appréciait pas mon goût pour l’encens ? Je lui ai tout pardonné : ses nerfs ont dû lâcher. Curieusement c’est la seule période de leur vie de couple où mes parents ont passé du temps ensemble, bloqués par la guerre dans ce petit coin de France. Je revois mon père jouant au billard dans le café, mon oncle dans l’équipe de foot.

Je revois aussi la Gendarmerie française venant chercher mon oncle Henry pour aller travailler en Allemagne. Il nous reviendra à la fin de la guerre, mais le couple avec ma tante Martha ne sera plus jamais le même. Durant sa captivité il avait eu une liaison avec une Allemande dont le mari était au front, ainsi va la vie !

Autre flash : ma visite le dimanche chez le boulanger pour acheter une meringue dont j’étais friand, mais surtout pour reluquer sa jolie fille qui servait derrière le comptoir ! Souvenir des excursions avec l’école dans la montagne ardéchoise « Pourtant que la montagne est belle » (emprunt au même Jean Ferrat). Je me souviens que nous capturions le poisson à la main tellement la rivière était transparente. Je n’aimais pas trop cette pêche étant un peu froussard sur les bords et pas du tout campagnard.

Images aussi de mon père et son frère Johnny revenant d’Aubenas en vélo et rapportant des vivres ; la fête de la Saint-Jean avec les gens du pays sautant au‐dessus du grand feu allumé sur la place du village et surtout le jour où l’un de mes camarades, ratant son saut, tomba dans le feu et fut grièvement brûlé. C’est la raison pour laquelle je ne suis jamais devenu lanceur de flammes ! Quoique parmi les artistes j’ai une réputation sulfureuse.

Ajoutons le souvenir du passage d’une course cycliste annonciatrice du Tour de France, qui y repassera après la guerre et surtout l’arrivée des camions des troupes alliées traversant en trombe le village : nous étions libérés, libres.

Rapidement Johnny et mon père empruntèrent ces mêmes camions pour remonter à Bruxelles où la guerre était loin d’être terminée. Nous allions un an plus tard les rejoindre.

Des années plus tard avec ma mère et mon frère Roland, nous fîmes un voyage pour revoir le village.